René avait fait du Hingair une des toutes premières fermes bio du pays de Lorient dans les années 90. Germain, qui a pris le relais en 2013, y a, à son tour, imprimé sa marque en développant le maraîchage sur sol vivant. Une nouvelle page aujourd’hui avec l’arrivée de Coralie et Alexis !
Dix ans après avoir repris le GAEC, Germain s’apprête à passer la main. « J’adore ce que je fais mais c’est le contexte dans lequel je le fais qui ne me plait plus, avoue-t ’il. Le marché t’impose un prix qui ne correspondra jamais au travail fourni et à toi de te débrouiller pour que tes coûts et ton salaire rentrent là-dedans. Ce système est injuste, il me fatigue et ça a fini par prendre le dessus sur ma passion du métier. J’arrête pour aller vivre dans un écovillage, essayer un autre modèle, m’investir dans un projet collectif où on mange ce qu’on produit, où chacun met au pot commun, où on décide ensemble de quelle agriculture on veut ».
C’est un couple de trentenaires, Coralie et Alexis, qui reprend le flambeau, en janvier 2025, après avoir, comme Germain au même âge, bénéficié d’un contrat de parrainage. Ils se lancent tous deux dans le maraîchage après un parcours d’ingénieurs et une envie de changer de vie. Coralie souhaite, en plus, développer une activité d’arboristerie et de production de plantes médicinales.
« Voilà quatre ans qu’on a entamé notre reconversion, raconte Alexis. On est passés par du bénévolat, du salariat, de la formation et maintenant ce contrat qui va permettre la transmission. C’est la formule idéale pour s’installer de manière confortable, avoir le temps d’acquérir toutes les bases et de profiter des secrets de Germain ».
« Cette solution donne au maximum un an aux futurs repreneurs pour tester leur projet, voir s’il est viable et si l’envie est toujours là à l’arrivée, confirme Germain. Ça laisse aussi le temps à celui qui cède sa ferme ou qui veut s’associer avec quelqu’un de changer d’avis s’il se rend compte que ça ne va pas le faire. C’est rassurant des deux côtés ».
Vous vous êtes trouvés comment ?
Alexis : « Via Terre de liens, une association qui permet de sécuriser le foncier agricole et d’installer de jeunes agriculteurs. On voulait faire du maraîchage sur sol vivant (MSV) et avoir trouvé quelqu’un qui le pratiquait déjà va nous faire gagner un temps fou ».
Germain est l’un des pionniers en la matière et toujours l’un des rares à le pratiquer dans le pays de Lorient.
Le principe : « Arrêter de remuer les terres, explique Germain, n’y passer ni charrue ni même grelinette, pour laisser la biodiversité s’y développer et se charger de faire le boulot. Bactéries, champignons, vers, cloportes… le sol fourmille d’êtres vivants qui l’aèrent et l’enrichissent. Soit ils le nourrissent par leurs déjections. Soit ils meurent et ça l’enrichit aussi ». La méthode : « Pour que la vie se développe au mieux, il faut que le sol ne soit jamais à nu. On le recouvre donc de paille, de foin de luzerne fermentée. On essaie de calquer la nature, de s’inspirer de la forêt et de sa couche d’humus. J’ai découvert la technique par des vidéos en ligne* et comme je suis forestier de formation ça m’a tout de suite parlé. Dès la première année de transition, il y a eu une explosion de biodiversité. Ça grouille de vie, de décomposeurs de matière organique. J’ai commencé en 2018 et je ne reviendrais jamais en arrière».
Que des avantages ?
G : « Sauf pour ceux qui aiment les tracteurs et la mécanique ! Mais à mon sens cette forme de maraîchage n’a que des atouts. Le travail est davantage lissé sur l’année. Quand une culture est finie, je ne l’arrache pas, je laisse le système racinaire, c’est ça qui va refaire de la porosité. Je mets tout de suite autre chose derrière et ainsi de suite. La dose de paille qu’on étend au départ dure un an en moyenne. Après tu peux aussi mettre une bâche pour tuer l’herbe qui a poussé et repartir sur quelque chose de propre ».
Quand on n’y connaît rien, ça fait bizarre tout ce plastique !
G : « Le plastique, c’est la partie visible du carbone que j’utilise sur la ferme et c’est effectivement le plus dur à expliquer aux gens. On a forcément envie de s’en émanciper, on est tout un réseau et on cherche des pistes. En attendant on se console en se disant que pour le fabriquer il a fallu immensément moins de pétrole que ce que j’aurais consommé en continuant à me servir d’un tracteur. Une bâche dure 15 ans. Imagine le nombre de pleins évités. Sans compter que je sauvegarde la biodiversité et que je consomme moins d’eau. J’ai divisé ma consommation par deux. C’est le sol que je nourris et que j’arrose, pas la plante, et tout pousse, en bonne santé. C’est une autre logique. Un autre métier. Maintenant je suis éleveur de vies du sol plus que maraîcher ! ».
L’autre révolution de Germain c’est d’avoir diminué la surface exploitée et tout condensé pour plus d’efficacité : « René cultivait sur presque 3 hectares et aujourd’hui je fais le même chiffre d’affaire sur 8000 m2 ».
Convaincus par l’approche, Coralie et Alexis vont appliquer les techniques transmises par Germain et développer leur activité en s’appuyant également sur les années de travail de René.
Alexis : « Ici, tout est divisé en jardins. On s’organise par blocs de culture. C’est plus facilement planifiable. Il y en a douze au total et, autour, des haies pour les protéger. Des haies qui sont aussi nourricières puisqu’on y trouve des pommiers, des pêchers, des pruniers et un noyer… Il a été planté par René il y a15 ans et il commence seulement aujourd’hui à donner quelques noix ».
Coralie : « L’idée c’est de compléter par des plantes aromatiques et médicinales. Il y a déjà dans les haies du frêne, du charme et du noisetier dont on peut utiliser les feuilles ou les bourgeons. J’aimerais rajouter des figuiers ou du ginkgo qui est bon pour la mémoire. Et puis introduire des plantes plus méditerranéennes dans l’autre partie de prairie, plus exposée au soleil ».
Alexis : « On souhaite poursuivre le travail qui a déjà été fait ici depuis 30 ans : créer des écosystèmes entre les haies, planter encore plus d’espèces différentes, pour attirer le maximum de biodiversité et créer un microclimat sur chaque jardin. Plus tu diversifies, plus tu rends tes sols résilients pour accueillir n’importe quel type de culture ou toute sortes d’animaux, plus tu es adaptable aux chocs sanitaires et économiques ».
Adaptation… et organisation. La clé de tout pour s’engager et tenir dans ce métier. Dernière leçon comprise dans la transmission.
G : « Cultiver des légumes, une fois que tu as la théorie, c’est assez facile et répétitif. Le gros du métier, c’est l’organisation. Comment tu gères tes papiers et tes déplacements pour être efficace et gagner du temps pour ne pas faire des journées de 12h et préserver une vie de famille. Ce n’est possible qu’avec beaucoup de travail d’anticipation et de réflexion. La clé c’est planifier et optimiser. Beaucoup ne mesurent pas l’engagement physique et moral que ce métier représente, ne pensent pas au stress et à la dimension économique. Si tu n’as pas la passion du métier, tu ne peux pas t’en sortir. Et il y a de moins en moins de passion parce que, comme de tout temps et encore plus maintenant, le milieu agricole est complètement dévalorisé ».
Coralie : « C’est fou comme le métier d’agriculteur ou de maraîcher est sous-estimé. Il faut quand même être bon en production, en gestion d’entreprise, bon commercial, bon manager quand on a de salariés… c’est un métier hyper complexe. Souvent on nous demande pourquoi avoir quitté le métier d’ingénieur pour devenir agriculteurs. Mais on n’a pas l’impression de l’avoir quitté, on est dans la continuité. Il y a des objectifs à atteindre, des problématiques, il faut constamment s’adapter…. Ça tombe bien, tous les deux on adore les défis ! ».
article écrit en septembre 2024